La case créole, un élément de notre patrimoine rural en voie de disparition

Jusqu’à la moitié du XXe siècle, la case a constitué l’archétype de l’habitat populaire traditionnel martiniquais.Puis, à partir des années 1950, elle a commencé à être délaissée au profit de constructions plus contemporaines relevant notamment du courant moderniste. Deux à trois décennies plus tard, ce sont des maisons d’architecture « néo-créole », plus adaptées aux modes de vie actuels ou d’architecture contemporaine, inspirées des tendances architecturales du moment, qui se sont imposées. Ces constructions, qui ne sont pas forcément en adéquation avec leur site et le climat, ont supplanté les cases au point de mettre un coup d’arrêt à leur édification. Il reste heureusement quelques cases qui constituent une partie de notre patrimoine bâti, mais malheureusement nombre d’entre-elles sont dégradées, mettant ce patrimoine en péril…

Le mot case, en créole « Kaz », signifie « logement, maison ». Après avoir désigné le logement des premiers colons, puis de l’esclave durant la période de l’Habitation, il est devenu, après l’abolition de l’esclavage de 1848 jusqu’aux années 1970, le synonyme du logement des habitants pauvres ou modestes. Quant au terme « mézon », il est utilisé pour désigner la maison de maître ou la maison contemporaine d’origine occidentale qui a succédé à la case. On trouve des cases dans la plupart des anciennes colonies de la zone intertropicale, que ce soit dans l’océan Atlantique ou l’océan Indien. Elles montrent cependant des formes différentes selon l’île ou le territoire où elles ont été édifiées, et selon les influences (françaises, anglo-saxonnes, hispaniques, asiatiques, etc.) qu’ont subies leurs populations.

PETITE HISTOIRE DE LA CASE

En Martinique, au début de la colonisation française, l’habitat de référence des premiers colons arrivés à partir de 1635, était la hutte des Caraïbes. Cette dernière était appelée mouïna. Le Père Breton en a fait la description suivante : « Les cases sont faites de fourches d’arbres, plantées en terre, jointes avec d’autres pièces de bois qui tiennent l’une à l’autre. Là-dessus, ils mettent des chevrons qui vont jusqu’à terre et couvrent le tout de feuilles de latanier ou de roseaux » . Les cases, qui pouvaient aussi être de forme ovale, étaient disposées autour du carbet, bâtiment ouvert plus important à usage commun.

Les premiers colons se sont inspirés au départ de ce type de construction, puis ont élaboré par la suite un habitat plus adapté à leurs besoins, en faisant appel à leur culture en termes de construction et d’architecture, tout en gardant certaines caractéristiques de l’habitat amérindien comme l’adaptation au climat et aux régimes des vents. Ils utilisèrent alors les matériaux disponibles sur place. Comparant ces cases aux huttes caraïbes, Jean-Baptiste Delawarde précise que : « La case, avec sa toiture appuyée sur des cloisons verticales est d’une silhouette toute différente.

A remarquer que le foyer caraïbe est disposé dans la hutte elle-même, alors que celui des cases créoles est à l’extérieur, enfin ces dernières s’éclairent par des baies, tandis que seule une porte de deux ou trois coudées de hauteur apportait au logis indigène une faible lumière que complétait la flamme du foyer. La seule chose qui semble devoir être retenue de la tradition caraïbe est la technique du couvert, la façon d’utiliser les matériaux du pays, feuilles de latanier, de balisier, de palmiste et de roseaux qu’on fixait avec des lianes souples sur des gaulettes, pour obtenir de grandes tuiles végétales couvrant la toiture et fermant les deux extrémités de la hutte » .

A cette époque que l’on désigne comme l’ère des pionniers, l’habitat de l’esclave est relativement proche de celui du maître en termes de construction. Puis, vers la fin du XVIIe siècle, l’économie de plantation, dont l’unité de base en est l’habitation-sucrerie, va s’imposer.

L’occupation de l’espace va être organisée afin de le rendre plus efficace et plus productif. On trouvera ainsi : la maison de maître, placée en hauteur afin de dominer les champs et de bénéficier des vents dominants ; les bâtiments liés à la production sucrière ; les maisons des contremaîtres ; et sous le vent, les cases d’esclaves. Le Père Labat décrit ces dernières de la sorte : « (…) On leur donne pour l’ordinaire trente pieds de long sur quinze de large. Si la famille n’est pas assez nombreuse pour occuper tout le logement, on le partage en deux dans le milieu de sa longueur. Les portes qui sont aux pignons répondent sur deux rues lorsque la maison sert à deux familles (…) On couvre ces maisons avec des têtes de cannes de roseaux ou de claies faites de petites gaulettes pour soutenir un torchis de terre grasse ou de bouse de vache sur lequel on passe un lit de chaux (…) Elles sont regroupées en un quartier unique et sont disposées géométriquement en files séparées par des ruelles ». Ce que l’on désignera par l’expression « Rue case nègres ». Dans certaines habitations du Nord de la Martinique, les roseaux seront remplacés par du bambou tressé.

 

Durant la période de l’Habitation, l’esclave ne pouvait pas intervenir sur la construction de la case qu’il occupait, le modèle, qui lui était imposé, était construit par des « nègres à talents », c’est-à-dire des charpentiers, des menuisiers ou des couvreurs… La case était généralement démontable afin d’être déplacée selon les besoins. Quant à la maison du maître, à charpente en bois et bardages en planches, elle va évoluer et s’améliorer dès la première moitié du XVIIIe siècle, tant en termes d’utilisation des matériaux que sur le plan architectural. Ainsi, dès le XIXe siècle, des maisons à deux niveaux, couvertes de tuiles ou d’essentes de bois, vont être réalisées en maçonnerie de pierre assemblées au mortier, composé d’un mélange de cendres, de sirop de canne, de sable et de chaux. Construites pour durer, elles comportaient en général un corps central maçonné de forme rectangulaire, s’élevant sur deux niveaux avec un étage en bois, avec deux galeries dont l’une couverte pouvait abriter la cuisine et la réserve. Ces constructions donneront un style architectural propre à la Martinique et serviront de source d’inspiration lors de la construction des cases après l’abolition de l’esclavage de 1848. Selon Jack Berthelot, architecte guadeloupéen auteur avec Martine Gaumé, architecte, d’un ouvrage sur la case : « l’histoire de la case ne débute réellement qu’à cette période ». En effet, ce n’est qu’à partir de l’abolition que chaque habitant a pu construire librement sa case sur une parcelle de terre cédée par l’ancien maître ou acquise suite au morcellement de l’Habitation, sinon en occupant un terrain dans les mornes… Il pouvait alors faire évoluer celle-ci, tout en se référant aux maisons de maîtres qui avaient intégré des techniques de mise en œuvre et des dispositifs permettant un bon confort thermique. Le coup de main a souvent été utilisé pour la réalisation de la plate-forme sur laquelle était bâtie la case et pour le montage de cette dernière.

La case est avant tout rurale et s’inscrit dans un espace aménagé destiné à permettre la subsistance de la famille qui l’occupe. Elle est dotée de plusieurs dépendances dont la cuisine située sous le vent afin de la protéger des incendies. Une cour intérieure, où l’on trouve un ou deux bassins destinés à fournir de l’eau, les sépare. Associée à un jardin décoratif en façade principale, elle comprend à l’arrière un jardin de subsistance où sont plantés des légumes, des arbres fruitiers, des plantes aromatiques et médicinales. On y élève aussi quelques animaux. Enfin, en fond de parcelle, un petit abri servait de lieu d’aisance.

LES ÉVOLUTIONS DE LA CASE DE 1848 À 1950

La case va connaître un certain nombre d’améliorations à travers les années :
Vers la fin du XIXe siècle, les cases en gaulettes, recouvertes de torchis, vont céder progressivement la place aux cases constituées d’une charpente en bois et d’un bardage en planches, ces dernières ayant bénéficié des techniques de construction et du savoir-faire des charpentiers de marine. Leur ossature, assemblée par tenons et mortaise, est constituée de bois pays prélevé sur place ou de « bois du Nord » importé d’Amérique.
Certaines façades seront protégées par des « ardoises » en fibrociment ou par des essentes de bois.
Les toitures, généralement à deux pentes ou parfois à quatre pans, couvertes en chaume ou en roseaux, vont être remplacées par de la tôle ou par des tuiles.
Des pièces seront ajoutées pour obtenir des chambres supplémentaires.
Le sol en terre battue sera remplacé par un plancher, puis par un dallage en béton.
Une galerie couverte ou « véranda » sera installée en façade principale, et dans certains cas elle sera périphérique.
Les volets en bois pleins seront remplacés par des fenêtres à persiennes mobiles.
Des impostes seront installées dans les cloisons afin de permettre une ventilation transversale. Elles feront l’objet de mise en couleur et de décorations à l’instar des maisons de maître.

LE DÉCLIN DE LA CASE

La case s’était déjà urbanisée dès la fin du XIXe siècle en s’améliorant tant en termes de construction que d’architecture, retranscrivant quelque peu le type d’organisation de la case rurale avec des adaptations liées à l’urbanité. L’exode rural massif des années 1950-1970, qui va être à l’origine de la création de nombreux quartiers spontanés, en périphérie de certaines villes, va aussi contribuer à la transposition de certains éléments du mode d’habiter rural dans les zones urbaines. Ainsi, aux abords des cases de fortune, regroupées dans des sites contraints, chaque espace était rentabilisé afin d’y installer des jardins créoles ou d’y élever quelques animaux. Ce qui permettait à leurs habitants de subsister en affrontant les vicissitudes de la ville. Cette caractéristique existe encore aujourd’hui, alors que le bâti a profondément changé. En effet, les cases, qui étaient constituées à l’origine de matériaux de récupération, vont par la suite être améliorées par leurs propriétaires en fonction de l’élévation de leur niveau de vie et selon les besoins de leur famille. Des plaques de fibrociment, matériau importé, seront employées en bardage en remplacement des planches et le sol en terre battue sera remplacé par un dallage en ciment. Puis, des structures en béton armé avec remplissage de maçonnerie, dont le savoir-faire a été acquis par de nombreux ouvriers agricoles devenus ouvriers dans le BTP, vont progressivement s’imposer dans la construction, leurs qualités techniques permettant l’implantation de maisons dans des sites qui s’avéraient difficiles pour l’implantation des cases traditionnelles. Ce processus de « durcification » de la case marquera la fin de la case traditionnelle martiniquaise.

Exemple d’extension-durcification d’une maison en bois

 

La départementalisation de 1946 et la mise en place de l’indemnité de vie chère pour les fonctionnaires vont permettre à ces derniers de disposer de moyens leur permettant de construire, dans la périphérie des villes ou dans des lotissements créés sur d’anciennes terres agricoles, des maisons en béton armé et maçonnerie devenues la panacée. C’est ainsi que dès les années 1960, s’est fait jour un style moderniste plus ou moins abâtardi, concomitant avec un rejet de la case et des constructions en bois, symboles de pauvreté pour une grande partie de la population. Les constructions à la structure en béton armé, avec des remplissages en maçonnerie de pierres, de briques ou de parpaings, sur pilotis, supportant une toiture terrasse, et fermées par des baies vitrées et des « jalousies martiniquaises », vont alors se répandre. Il convient aussi d’ajouter que dès les années 1950 des cités vont être édifiées et qu’à partir des années 1960, des immeubles collectifs sociaux vont aussi être bâtis. Les années 1990 marqueront le retour des constructions en bois, arborant un style néo-créole, tout en étant relativement éloignées de la case traditionnelle eu égard à leur distribution intérieure et à l’utilisation de leurs abords extérieurs.

Cette évolution de l’habitat va marquer un coup d’arrêt en ce qui concerne l’édification des cases, faisant qu’aujourd’hui le mot lui-même n’est plus utilisé par la majorité de la population pour désigner un logement. Il reste encore heureusement quelques cases urbaines et rurales qui méritent d’être préservées et rénovées afin que les populations à venir puissent connaître ces constructions qui font partie intégrante de notre patrimoine. Toutes les initiatives visant à les préserver ou à les faire découvrir sont bonnes à prendre. A cet effet, il est bon de saluer celle des créateurs de « La Savane des esclaves », lieu qui permet de découvrir non seulement la reconstitution d’un village Amérindien ainsi qu’une rue Case-Nègres, mais encore le mode de vie des habitants des campagnes après l’abolition jusqu’en 1960. La lutte contre l’indivision est aussi une bonne chose car de nombreuses cases, notamment urbaines, se sont dégradées du fait qu’elles soient restées fermées de longues années, suite au décès de leurs propriétaires. Encore faudrait-il que ceux qui en hériteront veuillent les sauvegarder… Enfin, à l’instar des maisons d’architecture remarquable recensées dans les PLU et destinées à être protégées, il serait souhaitable que ce type de protection soit appliqué pour certaines cases…

 

Sources :
Une histoire évolutive de l‘habitat martiniquais – Christophe Denise – In Situ – Revue des patrimoines – n° 5 – 2004 – http://journals.openedition.org/insitu/2381
Fort–de–France et Pointe–à–Pitre : deux villes américaines ? – In Situ – revue des patrimoines – n° 3 – 2003 – Christophe Charlery – architecte du patrimoine.
http://www4.culture.fr/patrimoines/patrimoine_monumental_et_archeologique/insitu/article.xsp?numero=&id_article=d5-616

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