CAUE Martinique

De l’urgence de développer la culture du risque : Entretien avec Albéric Marcelin, Président de l’UPP

Nous avons rencontré Albéric Marcelin, président de l’Université Populaire et de la Prévention, ONG très active sur le territoire martiniquais entre autres, sur les informations relatives aux risques majeurs. Il a bien voulu partager son expérience sur ce sujet délicat mais ô combien essentiel qu’est le développement de la culture du risque en Martinique .

CAUE : Qu’est-ce que l’UPP ? Pourquoi a-t-elle été créée ?

Albéric MARCELIN : L’UPP c’est l’Université Populaire et de la Prévention. L’UPP est une ONG (Organisation Non Gouvernementale) dont l’activité principale est la prévention des risques majeurs (naturels et technologiques). Par risques naturels, nous entendons, les séismes, éruptions volcaniques, inondations, tsunamis, ouragans, glissements de terrain etc…
Nous sommes une équipe d’environ 300 volontaires répartis sur 29 communes et composée d’architectes, d’ingénieurs, enseignants, de médecins, de psychologues entre autres, qui transmettent bénévolement leur savoir sur la prévention et les risques majeurs. Nous sommes au service de la population pour faire de la mitigation et de la vulgarisation scientifique, notamment sur la question du risque sismique.
7000 personnes participent chaque année à nos conférences publiques et nos sensibilisations auprès des scolaires. Nous nous adressons également aux obédiences, aux entreprises dans lesquelles nous proposons un PSI (Plan de Sauvegarde Interne) et un PCA (Plan de Continuité de l’Activité) … Car si les communes, les écoles ont mis en place des plans de sauvegarde, les entreprises n’avaient rien alors qu’en cas de risque majeur, le monde économique sera impacté.
Une étude de l’OMS révèle que 60 % des blessures à la suite d’un séisme ont pour cause un aménagement intérieur inadapté (une baie vitrée qui explose, du mobilier et des objets lourds qui tombent, des encombrements qui rendent difficile, voire impossible toute évacuation…)
Nous avons commencé à réfléchir sur un référentiel Mobiliers parasismiques, à l’instar du Japon qui dit
« qu’aucun meuble ne doit avoir une hauteur supérieure à 1m50. A la place d’une armoire, on met une commode. A la place du living, on choisira un buffet… Le challenge, c’est d’éduquer les martiniquais et créer les bons réflexes !
Nous travaillons également avec les associations et les bailleurs sociaux, en mettant en place des exercices de prévention, nous avons un créneau à la radio qui nous permettent de diffuser largement les informations liées aux risques naturels. Il y a un énorme enjeu à bien penser son intérieur pour éviter les drames que pourrait occasionner un séisme majeur : fixer ou déplacer le mobilier pour éviter qu’il ne vous tombe dessus, encastrer quand c’est possible… Il faut impérativement réduire l’impact à l’intérieur des habitations et des espaces de vie.

CAUE : L’UPP est-elle sollicitée par les acteurs de l’aménagement du territoire ?

AM : oui, dans le cadre du SAR (Schéma d’Aménagement Régional), nous avons été sollicités par le Conseil Régional à l’époque pour donner notre point de vue en matière d’aménagement du territoire et de catastrophes naturelles. Aujourd’hui, une révision de ce schéma nous parait nécessaire en raison des phénomènes que nous connaissons comme l’érosion côtière avec les risques de tsunami…

CAUE : Que pensez-vous de l’aménagement du territoire compte tenu du risque sismique ?

AM : L’exemple du tsunami en 2004 en Asie avec 230 000 morts, 14 pays impactés en même temps nous interroge sur la morphologie de notre littoral. Doit-on continuer d’implanter des infrastructures les pieds dans l’eau ? Rappelons-nous de la houle cyclonique Omar à la mi-octobre 2008 qui a impacté tout le littoral Caraïbe depuis le prêcheur jusqu’à Sainte-Anne… Toutes les personnes qui étaient assurés sur ce littoral ont perdu leurs polices d’assurance… Peu de gens le savent… Vous imaginez les conséquences… On est dans une logique qui veut que quand vous êtes implantés à moins de cent mètres du rivage, les compagnies d’assurance s’évertuent à résilier les polices d’assurance… Et la loi le permet, car le risque est trop grand. On a vu aussi que lors d’un tsunami majeur hérité d’un séisme puissant, l’eau a pénétré dans certains pays jusqu’à cinq kilomètres dans les terres. Cela donne une idée de ce qui pourrait arriver ici dans la plaine du Lamentin par exemple. La question de l’aménagement du territoire est essentielle quand on sait qu’un séisme de magnitude 8,5 sur l’échelle de Richter nous est annoncé. Elle pose une problématique sous-jacente qui est celle du déplacement des populations en cas de risques majeurs.
En 2017, en prévision de l’ouragan Maria, le gouverneur de Floride fut tenu de déplacer 6 millions de personnes… En Martinique, où prévoyons-nous de mettre nos populations ?
Le problème de l’aménagement est d’abord selon nous, un problème géophysique, car nous ne sommes pas un grand pays, nous sommes contraints, le sol n’est pas bon puisqu’il est à 70% argileux… L’argile c’est comme de la pâte à modeler, comme une éponge. Et l’argile nous a déjà révélé sa vulnérabilité comme par exemple à Soleil Levant au François le 26 décembre 2004. 18 habitations sont parties dans le décor… C’est Moutte, Morne Calebasse en mars-avril 2010. 58 habitations se sont effondrées. C’est Morne Macroix dans les années 1990 à Sainte-Marie, avec une vingtaine de maisons qui ont glissé… C’est en 1995, au Vauclin cette fois, lors de la tempête IRIS, 2 personnes décèdent parce le mouvement de terrain déclenché par les pluies a purement et simplement enseveli ce couple. Il y a donc le problème du sol argileux avec les problèmes de subsidence…

Souvenons nous de Château Paille au Vauclin, il y a environs 20-25 ans, qui a connu un problème d’argile gonflante. Les habitations ont dû être fermées pendant un temps. Il a fallu creuser afin de reconstituer le sol pour permettre aux personnes d’intégrer le site.
En ce moment, sur la question de l’aménagement du territoire, nous sommes préoccupés par la sécheresse qui a débuté en février dernier, et qui a pour conséquence beaucoup de sols fissurés. A certains endroits où nous nous sommes rendus, en descendant à 1 mètre, nous avons 50 centimètres de pénétration. Il y a danger et donc risque si la pluie revient trop fort pour les habitations. Nous invitons les martiniquais à faire le test de la bille posée sur le sol. Si elle bouge c’est que la maison a « bougé ». Il y a également le test des portes et fenêtres qui coincent, cela peut être le signe que le sol a bougé.

Il faut donc des constructions durables parasismiques, capables de résister à la sècheresse, à la souffrance des matériaux. Il nous faut travailler sur le choix des matériaux. Sur le cyclonique, nous ne sommes pas bons car ils sont de plus en plus violents et qu’aujourd’hui tout est calibré pour résister à des vents de 250 kilomètres/heure maximum. Pour rappel IRMA et MARIA sont passées à 360 kilomètres/ heure. Il y a tout de même des efforts sur certaines infrastructures récentes qui ont des croix de Saint-André, qui sont circulaires (pas de prises), tout métal, moins lourdes. Il faut savoir qu’une villa classique en Martinique c’est en moyenne 90 à 120 tonnes. Quand vous l’implantez sur un sol vulnérable (car tout le monde ne fait pas d’étude de sol), vous vous mettez en danger. Le PPR a été adopté en 2004 et révisé en 2013. Or, la DEAL révélait que 700 personnes avaient construit en « zone rouge » durant cette période. Or en « rouge », on ne peut pas construire.
Cela nous interroge sur le sérieux dans la délivrance des permis de construire, qui souvent sont modifiés par les pétitionnaires. Il y a beaucoup de certificats de conformité de complaisance…
La réalité est la suivante : Il faudrait un siècle pour reprendre toutes les constructions de l’île et des milliards d’euros. L’UPP propose une stratégie aux politiques qui consisteraient à construire des bunkers dans chaque commune et là-dessus nous ne sommes pas encore entendus. Aussi, nous misons sur la prévention, sur la culture du risque, éduquer les populations aux bons réflexes afin de limiter la casse.
La durée moyenne d’un séisme est de 60 secondes. Quoiqu’au Chili, le 22 mai 1960, il y a eu un séisme de magnitude 9,6 qui a duré 5 minutes… Il faut éduquer les gens pour qu’ils soient en situation de protection durant les 11 premières secondes d’un séisme. Le Japon y arrive très bien. Le souci ici, c’est qu’il n’y a pas de sanctions. Comprenez ! Si vous enfreigniez le code de la route, vous êtes sanctionnés ! Il existe ce qu’on appelle la sécurité routière.
Par exemple, quand vous ne fixez pas votre mobilier au mur, vous devenez potentiellement un blessé de plus pour la collectivité publique. A Cuba, il y a des équipes qui vérifient cela dans les maisons, et en cas d’infractions vous avez une amende.
Ici, on se décharge beaucoup sur l’Etat régalien… Or le jour J d’une catastrophe majeure, les collectivités locales seront les premiers à être au front… Il y a un manque de conscience…

Aujourd’hui l’UPP passe par la jeune génération, les enfants. Si le Japon est reconnu pour avoir la culture du risque, c’est parce qu’en 1923, les politiques avaient pris cette décision-là. Dès la maternelle, les petits japonais apprennent ceci en chanson : « Quand la terre tremble, je ne crie pas, je ne pousse pas, je ne cours pas ». Le constat, sans incriminer qui que ce soit, est qu’aujourd’hui éduquer des adultes, – avec des loyers, des impôts, la voiture, problèmes familiaux et j’en passe- est compliqué voire vain. Parce que « lespri yo pa anlè sa ! ».

CAUE : Quelles pourraient être les options à prendre à l’avenir, afin d’augmenter la résilience de la population ?

AM : Je pense que la première option c’est de casser ce que l’on peut appeler les « pesanteurs mystico-religieuses ». Bref la fatalité !
Parce ce qu’on au fond, si une armoire vous tombe dessus dans un séisme de nuit, ce n’est pas le « Bon Dieu » qui la poussé sur vous ! C’est vous qui ne l’aviez pas fixée. On vous dit « mettez un bidon de 5 litres d’eau dans chaque pièce ! ». Si la porte est rentrée en torsion et que vous de pouvez pas sortir, ce n’est pas la faute au « Bon Dieu » si vous n’avez pas d’eau. C’est vous qui n’avait pas mis de l’eau.
La 2ème option c’est de passer par les médias en faisant de la pédagogie. Nous avons un créneau sur Martinique la Première radio, le samedi de 9 à 10 heures qui nous permet de toucher 120 000 personnes. La résilience c’est traiter tous les facteurs de vulnérabilité. On ne peut rien faire sur les aspects géophysiques. Je reviens sur le choix des matériaux, sur l’aménagement intérieur et surtout apprendre à vivre ensemble face aux risques. En cas de séisme, 80 % des personnes sauvées, l’ont été grâce à un voisin qui a aidé. Quand la société est désorganisée comme cela a été le cas en Haïti, avec une aide internationale qui a pris du temps pour arriver, des avions qui étaient empêchés d’atterrir, c’est le système D « organisé » qui a fonctionné. Pour les aspects économiques, il convient de mettre en place un PCA (plan de continuité d’activité). La stratégie consiste à prévoir ce qu’il faut faire en « mode dégradé » c’est-à-dire après une catastrophe, bref comment gérer la crise. Ces choses peuvent se planifier en se posant les questions de la gestion des salariés, de la gestion de l’eau et de l’électricité, déblayer, réouvrir les services etc… Et cela doit être pensé en amont. Si ce type de plan, n’évite pas les impondérables, il peut aider à ce que la vie reprenne. L’opération « 72 heures, seuls au Monde » est une opération que nous avons organisée pour faire comprendre qu’en cas de risque majeur et quelque soit le risque, les personnes sont livrées à elles-mêmes pendant les 72 heures qui suivent. On note des actes de vandalisme, problèmes d’hygiène dus au manque d’eau, pas d’électricité etc. Les entreprises stratégiques (compagnies d’eau et d’électricité, mairies, etc..) pour la vie de la cité doivent avoir un PCA mis en place.
La problématique de l’eau est essentielle. En Martinique, nous avons 298 châteaux d’eau qui sont placés sur des sols argileux, en hauteur (par rapport à la gravitation et pour avoir de la pression). Seuls 10 d’entre eux sont aux normes parasismiques. En cas de séisme majeur, on a plus d’eau. Le 17 aout 2007, après le passage de DEAN, une canalisation s’est cassée à Vivé au Lorrain, du fait d’un glissement de terrain. Conséquence, 104 000 foyers n’ont pas eu d’eau pendant trois semaines. Et là ce n’était qu’un ouragan de catégorie 2, pas un séisme majeur. Installer une citerne avec les aides de la CTM est primordiale. Faire des réserves d’eau de pluie en prévoyant des pastilles pour purifier l’eau ou pourquoi pas utiliser le moringa qui a la faculté d’aseptiser l’eau (comme dans certains pays d’Asie).

CAUE : Et l’avenir ? Etes-vous optimiste sur la capacité des martiniquais à intégrer le risque ?

AM : On a déjà perdu beaucoup de temps. Là, le gouvernement français vient de nommer un délégué interministériel à la prévention des risques majeurs avec une feuille de route : Accélérer le dispositif. Des crédits ont été votés. Pas d’utilisation, fautes de « projets » viables. Car les porteurs de projet doivent aller chercher des fonds européens, doivent aussi mobiliser des financements de la collectivité territoriale. Et donc, s’il s’agit d’une commune qui a besoin de conforter une école, elle doit pouvoir apporter une contribution résiduelle de 10% … Imaginez si elle a cinq écoles à conforter ou reconstruire, elle devra avoir pour chaque projet cette contribution résiduelle de 10 %… Or elle laisse tomber souvent, car elle ne les a pas. L’AFD (Agence Française de Développement) pourrait prendre à son compte ces 10%, mais malheureusement le dossier reste en l’état.
Les points positifs sont que la CTM a maintenu, l’aide à la citerne pour permettre aux foyers de collecter l’eau. Elle a aussi maintenu la prime à la construction durable. Sur l’ensemble des bâtiments publics, on insiste sur une isolation à la base des nouvelles constructions. Mais depuis l’ouragan MARIA, il y a une nouvelle donne : il faut construire à la fois en parasismique et en paracyclonique résistant au-delà de 250 kilomètres/heure. Les architectes de la zone caraïbe parlent de « cheminée d’extension » pour les nouvelles habitations. Cela nous renvoie au concept de « case à vent » des anciens, empirique mais intéressant. Ils évoquent également la maison circulaire qui évite la prise au vent.
Après le passage d’HUGO en Guadeloupe, les toitures à quatre pans ont été largement adoptées. Alors qu’ici, il y a beaucoup de toitures à deux pans. Il nous faut également revoir les systèmes de fixation des toitures.
Lors du passage de DEAN en Martinique, des toitures entières sont parties avec la charpente. Cela nous interroge sur l’entretien régulier de ces dernières. Il faut vérifier régulièrement l’état de sa charpente. Donc s’il y a déjà des points de faiblesse (termites) et qu’aucun traitement n’a été fait, on ne doit pas s’étonner que la toiture ne tienne pas en cas de cyclone.
Une autre problématique urgente est le choix quasi systématique de grandes baies vitrées en logement collectif entre autres. Cela reste très dangereux en cas de séisme et de cyclones. Il existe pourtant des baies vitrées plus résistantes et donc plus chères. Alors pourquoi ne pas en installer dès le départ dans les logements ou proposer d’autres types de menuiseries plus adaptés à notre climat et aux risques majeurs ? Les risques majeurs doivent en réalité modifier notre approche de l’habitat. Si on met des baies vitrées c’est pour faire entrer de la lumière dans un espace fermé. Or on considère que les martiniquais ne passent pas beaucoup de temps à l’intérieur. En cas de cyclone, on imagine tous les projectiles qui peuvent fracasser ce type de menuiseries. Reprenons les habitudes anciennes ! Il faut comme avant, comme aux Etats-Unis se calfeutrer, protéger les baies avec du contreplaqué marine de 18 millimètres.

 

Pour terminer, avec le risque sismique, je souhaite rappeler l’exemple d’Haïti. 12 millions d’habitants. 20 fois la superficie de la Martinique. La zone impactée en 2010 est une zone de 3 millions d’habitants. 450 000 morts au terme de 39 secondes de vibrations sismiques. 1 500 000 de blessés. Des millions de sans abris. N’oublions pas que les personnes ayant perdu leur habitat, doivent être relogés dans un habitat provisoire, puis transitoire. Certains restent des années dans des quand de réfugiés sismiques ou cycloniques. C’est à dire, qu’il ne retrouveront jamais leur habitat d’origine. Et nous devons réfléchir sérieusement à cette réalité. L’aménagement du territoire martiniquais doit nécessairement en tenir compte et préparer des alternatives d’habitats à la population.

 

ITW : CAUE

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