CAUE Martinique

Entretien avec Laurent Bellemarre : La politique énergétique doit être organisée pour que le travail soit fait.

La question de la politique énergétique est cruciale pour l’avenir du territoire martiniquais, territoire contraint mais bénéficiant de nombreuses alternatives. Nous avons rencontré Laurent Bellemarre, directeur du développement au SMEM pour faire un état des lieux du mix énergétique et partager sa vision en matière de production et de consommation d’énergie.

CAUE : Quel est le lien entre EDF et le SMEM ?

Laurent BELLEMARRE : Le SMEM est l’Autorité Organisatrice de la Distribution d’Electricité (AODE), autorité concédante. Il est le propriétaire du réseau électrique de distribution. Le SMEM concède l’utilisation de son réseau électrique à son concessionnaire EDF pour assurer une bonne gestion des lignes à basse et moyenne tension.

CAUE : Le SMEM accompagne-t’il les familles qui souhaitent trouver une autre alternative par rapport au fournisseur principal de l’énergie EDF ?

LB : Il n’y a pas d’alternative en Martinique, le système étant différent de ce que l’on retrouve en France hexagonale. EDF est l’acheteur unique en Martinique. La seule alternative est l’autoproduction.

CAUE : Quelles seraient les possibilités pour aller vers des énergies propres et à la portée de tous ?

LB : Il y a de nombreuses énergies propres qui nous sont accessibles en Martinique, mais on ne peut pas dire qu’elles sont à la portée de tous, car cela demande un minimum d’expertise et d’investissement. Cependant, il existe une énergie qui est vraiment accessible à tous : l’énergie solaire.
Dans le cadre de la production d’eau chaude, le gain est immédiat, tandis que pour la production d’électricité un accompagnement est souvent nécessaire.
La généralisation du véhicule électrique permettra à tous de profiter d’un mix-énergétique de plus en plus vert, tout en diminuant l’importation de ressources fossiles.

CAUE : Que penser de la politique énergétique actuelle ?
LB : Elle est ambitieuse sur le papier…. Mais elle manque de moyens. On pourrait faire beaucoup plus.

CAUE : Que pouvez-vous nous dire sur l’éclairage public et les technologies utilisées ?

LB : L’éclairage public en Martinique était jusque là essentiellement constitué de technologies anciennes (lampes à décharge). Moins coûteuses à l’achat, elles offrent un éclairage qui se détériore vite en vieillissant et consomme beaucoup. C’est problématique sous nos climats. Certaines communes, telle que Rivière-Salée, ont franchi le pas du passage à la LED. Le SMEM avec ses partenaires proposent un outil intégré, préfinancé permettant à toutes les communes d’accéder à cette technologie, ainsi qu’à la télégestion, qui permet de suivre le fonctionnement de l’éclairage à distance.
Les communes bénéficient de diagnostics, d’études, d’une maitrise d’œuvre, entièrement payés par le SMEM.
Le SMEM assure également le préfinancement de la totalité de l’opération. Le SMEM a négocié avec ses partenaires du PTME des aides provenant de l’Europe, l’Etat et l’AFD, sous la forme de prêt ou de subventions. Ces aides resteront disponibles sur la durée du programme. Au final, la commune ne supporte que 17% des investissements, payés sur les économies réalisées, sur une durée de 5 ans.
Des horloges astronomiques, qui calculent précisément les heures de lever et de coucher du soleil permettent de garantir un allumage nocturne, supprimant les allumages diurnes dus à des capteurs de luminosité défaillants. Un dispositif de réduction de puissance en milieu de nuit, intégré dans chaque luminaire, permet 25% d’économie d’énergie supplémentaire, sans que cela ne se ressente visuellement.

CAUE : Quel est votre regard sur les ressources énergétiques actuelles ?

LB : Il y a de nombreuses possibilités et de nombreuses réalisations. On voit qu’au niveau éolien cela avance bien.
Il y de gros projets qui prennent du temps à sortir, mais qui arrivent. Après la première grande centrale éolienne de Grand-Rivière (12MW), plusieurs autres projets de grands éoliens terrestres sont en cours de déploiement ou d’étude et qui vont offrir entre 40 et 50 mégawatts… Il pourrait y avoir d’autres projets, comme les éoliennes Offshore… mais je dirai que la dynamique éolienne aujourd’hui est bonne et qu’il n’y a pas grand-chose à en dire.
De manière immédiate, nous bénéficions de l’énergie du soleil. Au niveau du photovoltaïque, si la dynamique était plutôt bonne sur les grandes installations, faute de grandes toitures encore disponibles, il faut selon moi se focaliser sur l’habitat individuel. L’obligation de couverture photovoltaïque dans le neuf, et l’accompagnement du financement du PV
( photovoltaïque) dans l’ancien sont des mesures qui peuvent effectivement mettre l’énergie photovoltaïque à la portée de tous.
On dit bien que « Sé gren diri ka plin sak diri », avec toutes les toitures des maisons individuelles, on peut créer de l’emploi en faisant de la production d’énergie sur l’ensemble du territoire. C’est de l’emploi garanti et quantifiable.
L’ADEME a mené une étude sur ce sujet avec un scénario 100% photovoltaïque. Il nous reste seulement à rentrer dans la dynamique. Il y a un temps pour se poser des questions et un temps pour agir.
Pour ma part, imposer le photovoltaïque est une évidence sur notre territoire, car c’est de plus en plus simple à mettre en œuvre tout en offrant un bénéfice immédiat à titre individuel et collectif. Le gestionnaire de réseau pourrait piloter un ensemble de centrales et de batteries, tout comme il le fait avec les moyens de production actuels, en situation virtuelle. L’idée doit faire son chemin. On peut vraiment lancer une dynamique économique et créer de l’emploi et cela à tous les niveaux.
La gestion des déchets est un problème majeur sur notre île qui exporte, brûle et enfouit ses déchets.
Ces déchets pourraient être valorisés et contribuer tant à la production d’énergie, qu’à l’approvisionnement en matière recyclée. Des projets encourageants et ambitieux existent. Ils permettraient non seulement de produire de l’électricité, mais aussi des ressources énergétiques (huile, syngaz, bio-charcoal, hydrogène).
Il y a la géothermie. Les études sont en cours d’analyse pour le projet aux Anses-d’Arlet, et quand j’entends les habitants poser comme question « Qu’est-ce que cela apporte aux Arlésiens ?», je répondrai qu’il faut que l’on apprenne un peu à penser Peuple, à penser Martinique, car moi-même je suis Arlésien et ce qui est très important, c’est que la ville de Les Anses-d’Arlet ne soit pas dénaturée, défigurée par un projet mal conçu. Il faut vraiment y faire attention. Au-delà de cela, c’est un projet d’intérêt général à l’échelle de la Martinique. Il n’y a aucune énergie aussi intéressante, que celle-là pour nous. Plus que le solaire, plus que l’éolien. Ce sont des puissances potentiellement importantes, disponibles en continu, et garanties à vie.
Donc il faut bien le faire, mais il faut le faire. Car, si on veut vraiment sortir des énergies fossiles, on a besoin d’énergie continue et stable. C’est ce que propose la géothermie.

Il faut se donner les moyens. Je pense que c’est un métier de spécialistes. Les Martiniquais pourront y contribuer, se former pour le fabriquer, peut-être le faire fonctionner, mais c’est un métier de spécialistes. Si vous n’êtes pas spécialistes, vous ne rentrez pas dans le jeu. Donc non, ce n’est certainement pas une entreprise Martiniquaise qui fera cela. Le niveau des investissements et la spécialisation sont trop importants.
Mais, c’est quand même une nouvelle énergie qui sera sur un territoire, donc il y a de vraies questions à se poser si l’on veut profiter du ruissèlement. à partir du moment où quelqu’un va chercher une ressource, cette ressource devient accessible.
Par exemple, Albioma qui fait de l’électricité à partir de la biomasse, permet aujourd’hui à l’usine sucrière du Galion de profiter de la vapeur sous pression directement. La sucrerie n’a donc plus besoin de la fabriquer elle-même. Elle a donc pu se débarrasser de toutes ses chaudières et simplifier ses procédures, limiter les coûts, réduire la maintenance etc…
Il faut se poser les mêmes questions pour les Anses d’Arlet. Que puis-je faire de cette vapeur ? Y a-t-il des activités connexes à développer ?
Quelle activité industrielle ou artisanale pourrait bénéficier des infrastructures à créer ? Un process qui va faire des bonbons, du plastique, peu importe… Il faut avoir les idées, toujours respectueuses de la belle commune de Les Anses-d’Arlet, mais qui créent un développement économique global. Et là, il ne faut pas attendre car il y aura du potentiel.
Il faut se poser les bonnes questions : Quelle activité existe ? Qu’est-ce que je peux faire et qu’est-ce qui est transposable ici ? Combien d’emplois seront créés ? Avec quel intérêt ? On peut trouver les moyens de développer vraiment des choses intéressantes.
Il y a également les énergies marines. La réalité de la mer dans la caraïbe c’est une bathymétrie à plus 800-1000 m de profondeur. Il devient complexe et coûteux de réaliser des ancrages à de telles profondeurs. Et quand c’est moins profond, il faut faire attention à préserver nos coraux, la faune et la flore marines ainsi que nos hauts fonds. Les challenges techniques sont complexes.

CAUE : Quelle est votre vision d’avenir ?

LB : Au niveau de ma vision de l’avenir, je constate qu’aujourd’hui nous avons une expertise publique faible car éparpillée. Il y a des gens compétents dans différentes structures telles que la CTM, le SMEM et les différentes collectivités entre autres… Mais, il n’y a pas de structure véritablement organisée. La mémoire repose sur les hommes et est donc très volatile. Il n’y a pas d’intelligence commune.
Une action de structuration forte a été lancée : Le PTME qui est une organisation des acteurs majeurs de l’énergie en Martinique a pour objectif de faire avancer ce domaine. C’est une bonne initiative qui mériterait d’être renforcée. Parmi ces acteurs, il y à EDF qui est une entreprise très compétente, mais avec des objectifs, des procédures et des agendas qui ne coïncident pas forcément avec ceux des institutions publiques, et cela est compréhensible.
Le chef de file de l’énergie, c’est la CTM. Et cela, c’est la loi qui le veut. Donc, en qualité de chef de file, elle doit jouer le rôle d’impulser et de mettre en avant une politique claire en la matière.
On observe que les Programmations Pluriannuelles de l’Energie sont validées et signées en fin de période : la PPE 2010-2015 a été signée en 2016 ; celle de 2015-2018 signée en 2018, quant à celle de 2019-2023, et 2024-2028, nous devons nous atteler à les faire sortir.
Il est vrai que c’est un exercice récent au niveau local, mais nous avons un temps de retard que nous devrons rattraper, afin d’impulser et de soutenir la dynamique, comme il se doit.
Aujourd’hui, c’est une compétence que l’on a territorialisée. Il n’y a pas de fatalité. La politique énergétique doit être organisée pour que le travail soit fait.
Les instances publiques avaient créé une agence (l’AME) qui avait pour but d’accompagner les politiques énergétiques publiques. Centre de ressources renforçant sans cesse son expertise et ses compétences, elle permettait de capitaliser et valoriser les fonds publics qui y étaient insufflés, augmentant et partageant la connaissance créée. Elle n’a malheureusement pas survécu. On peut regretter qu’elle n’ait pas été remplacée.
C’est comme si vous économisiez dans le but de louer ou d’acheter un bien. Si vous décidez de louer, à terme vous n’avez rien. En revanche, si vous achetez, c’est comme un loyer mais vous capitalisez. A la fin vous aurez un bien qui vous appartient à vous et vos héritiers. Si vous entreprenez des travaux d’amélioration, votre bien prendra de la valeur, donc une plus-value. C’est cela, créer une agence !
Quand vous payez une maitrise d’œuvre, vous pouvez avoir un résultat satisfaisant, mais vous pouvez avoir quelque chose qui ne vous convient pas. Et là, vous entrez dans un cercle vicieux dans lequel vous ne finissez pas de payer. Et à la fin, vous n’avez ni la connaissance, ni la méthode, ni les données, ni les valeurs. Vous restez sans expérience et vous n’êtes pas plus intelligent.
Nos élus doivent avoir la même capacité à comprendre les enjeux, les conséquences des orientations, que les professionnels de l’énergie tels qu’EDF, la SARA, ou des porteurs de projets privés. La maîtrise permet une participation plus constructive et plus efficace. Les échelles de temps du public et du privé ainsi que les circuits d’information et de décision diffèrent et entraînent parfois pour l’un comme pour l’autre des contraintes insoutenables.
C’est la triste réalité ! Au final, on se retrouve encore souvent à faire appel aux bureaux d’études extérieurs alors que nous avons déjà bon nombre de compétences dans le pays. Il manque un centre de ressources pour accompagner et informer.
Aujourd’hui nos ressources sont à nouveaux éparpillées dans les différentes collectivités et ne sont pas suffisamment en contact, du fait principalement de la charge de leur fonction. Il faudrait pouvoir recréer une dynamique commune.
Je reste optimiste. Nos collectivités doivent mieux s’organiser, ce qui se met en place …très progressivement.
Il y a également la DEAL organisme d’état, qui fait un très bon travail dans ce sens-là, l’ADEME aussi. Il faut savoir que les structures nationales ont leur vision nationale. L’ADEME a des programmes nationaux et essaie de les harmoniser avec les nôtres. Pour la DEAL, c’est différent, parce qu’il n’y a pas de DEAL nationale, c’est quelque chose d’intrinsèquement local. Cependant leurs turn-over nuisent à la continuité. Donc, il y a quand même des gens compétents qui travaillent sur nos problématiques énergétiques.

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