La Pointe Simon, qui se situe à l’Est de l’embouchure de la rivière Levassor, est devenue aujourd’hui un lieu bien en vue du Chef-lieu de notre île. Pourtant, nombre d’entre nous ignorent l’origine de son nom, son histoire, ou simplement ce qu’elle a représenté par le passé. Aussi, nous vous proposons de vous relater sa « petite histoire ».
D’où vient sa dénomination ?
A moitié noyé, on n’y trouvait alors qu’une fortification de type « batterie à barbette », disposant de deux canons, qui participait sans doute au système défensif de la Baie des Flamands. Simon Chovot assécha ce terrain, le combla, y construisit, et lui laissa son prénom. A cette époque, la ville s’appelait « Fort Royal ». Par la suite, un arrêté consulaire du 18 avril 1802, signé de Bonaparte, lui donna le nom de Fort de France.
Repères historiques
Exemple de gabare
En 1845, la Pointe Simon accueillit la première usine centrale à sucre de la Martinique. Cette dernière était située en face d’un hospice civil, qui occupait l’ilot formé par les rues : Garnier Pagès, Ernest Desproges, François Arago et le boulevard Allègre. Construite par la société Desrone et Cail pour le compte de William Thorp, elle utilisait la vapeur et fonctionnait à partir de la canne fournie par des planteurs de la région de Fort de France.
Dans le moniteur de la Martinique, de 1845, on pouvait lire à son sujet :
» C’est une de ces merveilles de l’industrie moderne qui étonne et charme à la fois, quand on les examine avec soin et que l’on se rend compte exact des ingénieuses combinaisons qui la font mouvoir. »
« Sortie toute entière de la maison Cail, elle se compose d’un moulin de 16 chevaux, de deux chaudières à cuire dans le vide avec deux machines à vapeur, de 12 filtres, 3 monte-jus, 6 défécateurs, 3 condenseurs, un lavoir, un four à revivifier le noir et les étuves.
Les générateurs sont de la force de 90 chevaux.
Un bateau à vapeur, deux chalands en fer et des gros-bois pour le transport des cannes complètent ce magnifique ensemble.
L’usine emploie quotidiennement près de cent ouvriers et quelques esclaves résidant à Fort Royal.
Elle paye en salaire près de 1500 fr par semaine, ce qui contribue à alimenter le commerce de détail en ville. »
Le vice-recteur de l’époque, après la visite qu’il en fit, la jugea « admirablement située, aménagée avec intelligence et bien outillée ».
vues sur l’usine de la Pointe Simon
Rachetée par la maison Derosne et Cail, cette usine fut détruite par l’incendie du 22 juin 1890 qui réduisit en cendres une grande partie de Fort de France, dont : les usines, les chantiers, l’hospice et les magasins qui longeaient le bord de mer. A la suite de ce triste évènement, le terrain devint la propriété de la Ville de Fort de France. Il accueillit alors des magasins et des dépôts de matériaux de toutes sortes.
Dans les années 1930, une partie du site a été aménagée afin d’accueillir des bateaux.
Dans les premières décennies du 20ème siècle, en limite Nord-Est de la Pointe Simon, en bordure de la rue Ernest Desproges, sera édifié le bâtiment des Douanes et Contributions. Il sera démoli au début des années 1970, les services de la Douane ayant migré dans un immeuble édifié sur la route de Sainte Thérèse – dénommée aujourd’hui « avenue Maurice Bishop » – non loin de l’entrée du Port. Il s’agissait d’une construction de plain-pied, à un niveau, en maçonnerie de pierres. Elle apparait sur une carte de Fort de France de 1935 (voir ci-après). Elle jouxtait un parking où était garés les véhicules de transporteurs de marchandises. Ces derniers, en attendant de faire une course, jouaient au serbi ou grendé (jeu de dés) pour passer le temps. Il s’agit d’un jeu d’argent et de hasard qui pouvait être à l’origine d’affrontements pouvant entraîner la mort. L’argent pouvait être remplacé par des jetons, des cailloux ou des légumes secs.
Extrait du plan topographique de Fort de France de 1935
La première zone d’activités de l’île
Jusqu’aux années 1970, la Pointe Simon et une partie de la rue Ernest Desproges et des rues adjacentes vont former ce que l’on peut considérer comme la première zone d’activités de la Martinique. On y trouvera de nombreux commerces ainsi que des entreprises de vente de matériaux de construction, une fabrique de carreaux et d’agglomérés, une fabrique de glace, de chocolat et de boissons gazeuses, des concessionnaires automobiles, des assurances…
L’appellation de certaines rues de la Pointe Simon, comme : la rue des Gabares, la rue du Commerce et la rue de l’Abattoir, témoignent de ce passé de zone d’activités économiques. Activités qui ont perduré jusque dans les années 1970/1980, période à partir de laquelle la mutation de ce site a été engagée. Jusqu’à ces années, on trouvait encore : l’abattoir, un magasin de vente de matériaux de construction, des commerces divers (vente et montage de pneus, prêt à porter, etc.), un distributeur de gazoline, quelques ateliers (tôlerie-peinture, menuiserie), ainsi qu’une des trois glacières de Fort de France et le siège de la ligue de voile de la Martinique.
Certains bâtiments, témoins de ce passé, existent toujours. On trouve ainsi la station d’auto-curage des égouts de Fort de France, d’architecture moderniste, créée à l’initiative d’Aimé Césaire et de Pierre Aliker, il y a plus de cinquante ans. C’est la dernière station en activité à utiliser un système de réseau dit de « Gandillon » dont la particularité est d’être situé en dessous du niveau de la mer. Elle a permis d’installer à Fort de France un système d’assainissement et de faire disparaître les « tinettes ».
Il y a aussi une discothèque, dont les enseignes passées étaient : Le Baobab ou l’Elizée-Matignon.
A l’est de la Pointe Simon, il y avait un parking pour véhicules particuliers (aujourd’hui parking des « taxicos ») où le stationnement était en zone bleue. En bordure de celui-ci, côté mer, se trouvait un petit restaurant très fréquenté par les marins, « l’Abri Côtier ».
Publicités contenues dans l’annuaire de la vie martiniquaise, de 1936
Dans la première moitié du XXème siècle, lors de la mandature du maire Victor Sévère, sera construit un abattoir municipal sur la rive gauche de la rivière Levassor, non loin de son embouchure. L’architecture de ce bâtiment relevait du courant moderniste. Il sera détruit dans les années 1980 et sur une partie de son terrain d’emprise sera construit l’actuel parking silo.
Non loin de l’entrée de celui-ci, au niveau du carrefour formé par le pont et le boulevard Allègre, était installée, jusqu’aux années 1970, une plateforme circulaire, qui a supporté par la suite une sorte de piédestal, d’où un policier réglait la circulation des véhicules.
La première décharge municipale de Fort de France
Une partie de la Pointe Simon a accueilli la première décharge municipale de Fort de France, jusque dans les années 1960. Selon certains témoignages des déchets hospitaliers y étaient aussi déversés, sinon jetés dans la mer qui la bordait.
Non loin, à l’extrémité de la Pointe Simon, étaient implantés les bureaux et les ateliers de la société d’enlèvement d’ordures de Charles Figuères, dont l’entreprise gérait aussi un service de ramassage de tinettes. Il s’agissait de récipients servant au transport des matières fécales et employés comme fosse d’aisance mobile. Ceux-ci étaient placés dans des constructions non raccordées à l’égout ou ne disposant pas d’un système d’assainissement individuel, puis ramassés afin d’être vidés dans un lieu approprié. Selon les dires, ceux-ci étaient déversés dans la mer bordant la Pointe Simon, non loin de l’entreprise. Il semblerait aussi que des femmes exerçaient une activité proche, en ramassant les pots de chambres chez des particuliers, qu’elles transportaient dans des charriots poussés à bras afin de les vider en mer, sinon à la rivière.
Le nouveau visage de la Pointe Simon
Dans les années 1980, une Zone d’Aménagement Concerté, a été mise en place à la Pointe Simon. Elle a été concédée au début des années 1990 à la Société d’Economie Mixte d’Aménagement de Fort de France (SEMAFF) par la Ville. Sur celle-ci, qui constituait l’une des emprises foncières les plus importantes du centre-ville, était prévu un nouveau quartier d’affaires et de tourisme. Depuis, se sont élevés : la Tour Lumina, la résidence « Condominium » composée de logements de standing et de services à vocation touristique, l’hôtel Le Simon et une place publique, des parkings en sous-sol. Face à l’Hôtel, de l’autre côté du boulevard Thelus Lero, du nom d’un ancien sénateur de la Martinique, s’élève un immeuble de logements.
La seconde tranche comportera une galerie marchande de type « Village créole » adossée au « Malecon » et à l’aménagement du boulevard Alfassa.
Ce projet de Zac a été accompagné par la réalisation d’équipements structurants comme :
- Le terminal de croisière, construit en 1992, avec deux postes à quai permettant d’accueillir deux mégaships simultanément et un accès direct au centre-ville, pour répondre à une demande croissante d’escales de navires de croisière ;
- Le « Malecon » ;
- Et la plate-forme multimodale.
Aujourd’hui, cette partie du littoral de Fort de France est devenue un quartier résolument tourné vers les affaires et le tourisme, qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était il y a seulement une trentaine d’années. Les photographies suivantes prises à environ soixante dix années d’écart, montrent la profonde mutation qu’à subie cette partie du littoral de Fort de France, tant en termes d’emprise, car elle a encore gagné sur la mer, que de constructions. La verticalité ayant pris le pas sur l’horizontalité.
Source : Géoportail
Néanmoins, la mutation de la Pointe Simon n’est pas encore terminée. Elle continuera à évoluer, dans la mesure où elle est intégrée dans le « Plan de référence du front de mer de Fort de France », outil de planification à moyen terme qui définit les orientations majeures qui visent à permettre l’ouverture de la Ville sur la mer par une nouvelle façade maritime. Elle fait partie d’une séquence comprise entre la Tour Lumina et le Grand Port.
Scénario à moyen terme pour le front de mer, de la Pointe Simon au Fort Saint Louis
Sources :
Pointe Simon – Fort de France – 200 questions et réponses – Sabine Andrivon-milton – Edition Orphie
Histoire de la Martinique: depuis la colonisation jusqu’en 1815, Volume 4 – Sidney Daney de Marcillac
Brownfields, friches urbaines et recompositions territoriales – Olivier Dehoorne, Huhua Cao, Dorina Ilies
Liens internet :
http://tijomauvois.e-monsite.com/medias/files/recueil-2018-cm2-6e-5e.pdf
http://laeti.perrierbrusle.free.fr/capes_carte_martinique_ville_documents.pdf
https://www.martinique.port.fr/decouvrir-le-port.aspx
https://en.wikipedia.org/wiki/Barbette
http://cartes-martinique.pagesperso-orange.fr/Bahia_FDF_1825.jpg