CAUE Martinique

Un regard sur le quartier Dillon

Bien loin de l’image actuelle que porte le quartier Dillon, ce dernier est un élément historique malheureusement peu connu de notre patrimoine martiniquais.
Mélody MOUTAMALLE, historienne-chercheuse et passionnée par la Culture et l’Histoire de notre île, a partagé avec nous ses recherches et nous a permis de découvrir Dillon autrement. Si le quartier que l’on connait actuellement date des années 1960, son histoire remonte au XVIIème siècle !

 

CAUE : D’où vient le nom Dillon ?

Mélody MOUTAMALLE : Le nom « Dillon » vient du Comte irlandais Arthur de Dillon qui fût marié en 1784 à Marie-Françoise-Laure de Girardin de Montgérald Levassor de la Touche de Longpré, une jeune veuve propriétaire d’une raffinerie de canne à sucre dont le domaine comprend, à l’époque, les quartiers aujourd’hui appelé Dillon, Valmenière, l’Ermitage, Renéville et Morne Calebasse.

 

CAUE : Comment une raffinerie de canne à sucre martiniquaise est devenue la propriété d’un irlandais ?

MM : Marie Françoise Laure de Girardin de Montgérald est l’arrière petite fille du fondateur de l’habitation-sucrerie « Girardin » (La raffinerie fût créée en 1690 environ – période d’arrivée du Père Labat aux Antilles). Le grand-père de Marie Françoise Laure fera construire le château de Montgérald (bâtiment pour lequel nous n’avons que peu de données.)
A la même époque de création de l’habitation, en Angleterre, la famille Dillon, à la tête d’un régiment militaire perd la guerre au côté du roi catholique Jacques II d’Angleterre en 1690, doit s’exiler en France et prêter serment au roi de l’époque. Cette allégeance conduira Arthur, le fils, à partir, en 1772, avec son régiment conquérir Trinidad et Tobago dans le cadre de la guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Il rencontrera Marie Françoise Laure la même année, lors d’une escale en Martinique, fin 1779. Marie Françoise Laure, veuve d’Alexandre Levassor de Latouche de Longpré épouse Arthur Dillon devenu le comte Dillon en 1784. Le quartier Dillon vient à la fois du nom du Comte et du fait que la zone avait été affectée aux logements de militaires d’où le terme « quartier ». Arthur Dillon lors d’un voyage en France en 1789 sera décapité sous le régime de la Terreur.

CAUE : Que devient l’habitation après la mort d’Arthur Dillon ?

MM : La fille du Comte et de Marie Françoise Laure : Fanny, qui a suivi sa mère en Angleterre puis en France, sous Napoléon 1er s’occupe peu de ses possessions martiniquaises et laisse à sa mort en 1836, d’importantes dettes à son mari, le Général Bertrand dont celle de l’habitation désormais appelée « L’habitation Dillon ». Suite au principe de l’Exclusif (régime sous lequel étaient placés tous les échanges commerciaux entre les colonies et la France au XVIème et XVIIème siècle), la canne à sucre est moins rentable qu’avant, ce qui engendre la crise sucrière de 1860. L’habitation est successivement revendue de 1856 à 1928, avec des phases d’arrêts de la production. Le cyclone de 1891, qui dévaste la Martinique, anéantit l’habitation et endommage lourdement la distillerie. Cette dernière ne sera remise en état qu’en 1900 par les héritiers de la famille Domergue qui a acheté la distillerie en 1869.

 CAUE : Le quartier Dillon et le XXème siècle ?

MM : Longtemps convoitées par la ville de Fort de France, les terres de la plantation Dillon (350 hectares) sont vendues à la Société Immobilière des Antilles-Guyane (SIMAG) dans les années soixante. La société BARDINET rachète en 1967 l’exploitation de la distillerie Dillon et investit dans du nouveau matériel.

Dans les années 1960, avec la troisième phase de l’explosion urbaine foyalaise et l’extension des « habitats précaires », 40% des constructions de Fort de France sont alors réalisées sans autorisation et les quartiers « insalubres » regroupent un quart de la population de la ville. Les pouvoirs publics réalisent alors des ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité).
Cette époque marque le début des grands ensembles à forte densité de logements, qui transformeront le paysage péri-urbain de Fort de France comme Floréal, Bon-Air ou Morne Calebasse. Dans ce contexte, ces hectares de terre deviennent la « Cité Dillon » en 1967. Le programme de construction de Dillon comprend alors 1961 logements de différents types (971 individuels et 990 collectifs) avec différents niveaux de prestations. C’est ainsi que le quartier « Dallas », situé sur d’anciens marécages à Dillon et constitué de logements « très économiques » avec des normes minimales, relogera par exemple des familles de Morne Pichevin et Morne Calebasse. Les maisons « basses » de ce quartier (147), sont construites de plain-pied avec des fondations légères à proximité de la rivière Monsieur. Les quartiers Dillon, Châteauboeuf, Morne Morissot et Beauséjour feront partie des quartiers ayant eu le plus fort taux d’accroissement du chef-lieu en passant de 2 000 habitants en 1967 à 10 000 habitants en 1982.
« La réalisation des grands immeubles de Dillon a été l’occasion de mettre en oeuvre pour la première fois le procédé de construction en tunnel qui a permis de rationnaliser le coût. Ce procédé est aussi à l’origine des solutions de facilité qui ont discrédité l’architecture des grands ensembles ».
Actuellement, le quartier Dillon fait partie des six zones urbaines sensibles de Martinique. Ces zones se caractérisent par la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradé et par un fort déséquilibre entre habitat et emploi. On constate aussi la présence d’habitats spontanés, dont une partie est toujours sans titre de propriété. Pourtant, ce quartier ou cette « ville dans la ville », devenue « zone franche », ne cesse de surprendre par la multitude de commerces et des manifestations artistiques, sportives et d’animations présents dans les rues.

« Dillon est aussi le lieu d’un enracinement de l’histoire et d’une mémoire collective dans lequel, le sentiment d’enracinement est qualifié par ces temps historique et mémoriel […] Il est nécessaire donc de fructifier cette mémoire collective en la conservant et en la valorisant. Pour cela, les Martiniquais doivent prendre conscience de leur patrimoine urbain pour enfin se l’approprier » Mélody MOUTAMALLE – Conférence « Un quartier populaire : Dillon, entre histoire, mémoire et art ».

Cet article est extrait du magazine La Mouïna Martinique en téléchargement ici

Sources :
Mélody MOUTAMALLE – Conférence « Un quartier populaire : Dillon, entre histoire, mémoire et art »
Le logement social à la Martinique -100 ans de Chroniques 1902-2004 de Philippe VILLARD
https://sig.ville.gouv.fr/Cartographie/QP972004

Quitter la version mobile