Céline Wauquaire : Rendre vivant les lieux grâce au végétal

Le paysagiste pense les espaces verts et les met en scène en plantant des arbres, des arbustes, des fleurs, des bassins et des pierres. En 2019, seulement 11% des paysagistes en France étaient des femmes. L’une d’entre elles exerce son métier dans notre île aux fleurs depuis des années. Nous avons rencontré Céline Wauquaire, paysagiste Dplg, qui a bien voulu partager avec nous, son parcours, son métier, son amour de notre patrimoine naturel et le rôle du paysagiste sur un territoire insulaire.

Pourquoi avoir choisi ce métier ?

C W : J’ai choisi le métier de Paysagiste car je voulais donner des repères aux gens dans l’espace. J’avais l’habitude d’inviter des amis de classe à mon anniversaire et je guidais mes invités jusqu’à chez moi en soulignant la présence d’un arbre qui leur indiquerait qu’ils sont arrivés. Il s’agissait d’un Sumac de Virginie (Rhus typhina) qui, à l’automne, devient rougeoyant en cette période d’anniversaire. Ce petit arbre était un arbre REPèRE.
C’est à partir de ce moment que d’année en année, il m’a semblé essentiel de marquer les lieux de quartier non seulement avec des plantes mais également avec des graffiti, des sculptures végétales, des jeux pour enfants, des lieux ombragés pour la discussion, des lieux adaptés pour écouter de la musique, pour danser, pour se rencontrer. Des lieux qui nous ressemblent.

En quoi consiste le métier de paysagiste ? Quel est son objectif ?

C W : Le Paysagiste conçoit des aménagements paysagers de jardins, participe à l’urbanisation de quartier avec toujours plus de plantations utiles et esthétiques.
L’objectif est de réussir à créer des espaces conviviaux tout en maintenant une subsistance alimentaire et médicinale.
Récemment en échange dans une école primaire du Robert, les enfants ont eu une vision du métier de paysagiste très haute et très pragmatique qui est la suivante :
Je reprendrai leur parole. Le paysagiste c’est…


Lilou : « c’est quelqu’un qui regarde et qui peint. »
Wilson : « Quelqu’un qui protège la nature et les arbres. »
Nathan : « Quelqu’un qui s’assure que les arbres vont bien. »
Tony : « C’est quelqu’un qui donne des conseils pour dire où placer l’arbre dans un jardin. »
Livio : « Quelqu’un qui étudie les arbres. »

Les enfants ont raison.
J’ajouterai que le Paysagiste contribue à rendre vivant des lieux grâce au végétal (son matériau de prédilection) mais aussi avec le minéral, l’eau, qui, en se combinant forme une sorte de protection, refuge (ombrage, contact avec les plantes…). Protection dont doivent pouvoir jouir les citoyens, les urbains surtout. Il est d’ailleurs démontré les effets bénéfiques des plantes dans la ville (absorption du CO2, rejet d’oxygène par les plantes). Le paysagiste participe à la lutte contre la pollution. On peut également planter à l’intérieur des bâtiments avec des plantes dépolluantes tels que les Chlorophytum, les cactus raquette et autres langues de Belle mère… Il y a aussi l’utilisation des plantes dans les jardins et aux bords des routes avec toutes les plantes dont on a découvert des propriétés insecticides naturels tels que les Neems, Les Oliviers bord de mer, Les Makatas, les Marie derrière l’hôpital, la petite citronnelle (Pectis elongata) , le tabac …

Quelles sont les différences entre un jardinier, un botaniste et un architecte-paysagiste ?

C W : L’architecte-paysagiste conçoit, calcule le projet d’aménagements paysagers mais aussi a une vision d’ensemble et s’assure des bonnes proportions entre l’architecture, la nature.
Dans un projet urbain, par exemple, l’architecte paysagiste veillera à ce que les citoyens travaillant dans des entreprises situées dans des zones d’activités commerciales puissent bénéficier d’un jardin où faire une pause pour le déjeuner avec table de pique-nique à l’ombre des grands arbres par exemple.
L’architecte paysagiste peut emmener le citoyen au jardinage.
Le jardinier, lui, gère un espace paysager au niveau de l’entretien d’un espace (ce qu’on décide de garder ou de jeter comme plantes). Par exemple, le jardinier peut décider de conserver les ‘’mauvaises herbes’’ nommées également adventices et autres rimèd razié. Oui, le jardinier peut décider de conserver de l’Armoise Ti ponpon, le Paroka ou la pâte d’amande (Merremia dissecta) pour leur propriété insecticide dans un massif de plantes.
Le Jardinier s’occupe de la taille des arbustes, des arbres. Il préserve les qualités du sol par des apports d’amendements organiques. Il plante, arrose et soigne les plantes.
Le botaniste quant à lui, étudie les plantes, leur famille, leur genre, leur nom commun et scientifique.
Je fais souvent appel à un botaniste en début de chantier afin de faire un inventaire de la flore initiale et de révéler souvent la quantité de plantes médicinales en place avant le projet. Plantes toujours à connaître et souvent à conserver.
Le botaniste connaît la grande complexité du monde végétal et de ses intelligences.

Quel lien peut-on faire entre le métier de paysagiste et celui d’architecte ?

C W : Les deux corps de métier ont toujours travaillé ensemble afin de créer les plus belles demeures, les plus beaux châteaux et les plus beaux palais accompagnés de leur jardin. Ce jardin peut être à la Française, à l’Italienne, avec ses fontaines et ses sculptures, à l’Anglaise avec ses mixed bordures. Aux Antilles, le jardin créole crée des architectures de jardin que sont les cabanes, les carbets et les lieux de détente – salon, des claustras pour observer pousser les plantes de son jardin.
A Londres, J’ai aimé la façade du British Museum d’histoire naturelle où on peut observer sur la façade du monument une quantité de bas-relief en forme de plantes et d’animaux.
Nos architectures doivent porter l’empreinte de notre architecture créole faite de liberté avec des matériaux de récupération…
Aujourd’hui, de plus en plus de gens pensent à un habitat bioclimatique et de ce fait ont nécessairement envie d’un jardin avec des bacs à planter, des plantes médicinales… Cela fait plaisir de voir comment de crise en crise, la population se remet en question par rapport à son mode d’habiter et on voit beaucoup de maisons particulières tournées vers le paysage, la vue et aussi par une volonté d’aménager l’espace autour de la maison par un jardin de plantes utiles.
On a aussi remarqué que les toits des villes présentent des espaces sous-exploités pour une agriculture urbaine.
Egalement, les murs végétaux permettraient de créer une sorte d’isolation de l’habitat et permettraient de gagner quelques degrés de fraîcheur à l’intérieur du bâtiment.

Quelle est la place d’un paysagiste à la Martinique ? Y a-t-il des spécificités par rapport à la France hexagonale ?

C W : Le paysagiste à la Martinique garde son rôle de concepteur d’aménagements paysagers.
Il produit les mêmes documents règlementaires d’études que sont les plans, les photos-montages, les descriptifs, quantitatifs, estimatifs.
Les spécificités de la Martinique par rapport à la France hexagonale sont :

  •  Bien sûr l’insularité qui ouvre un champ énorme d’études sur l’érosion et les plantations, les types de végétation qui contribuent à retenir les sols.
  •  La grande chance de la Martinique, c’est la diversité de sa végétation, avec des adaptations de plantes allant du plus sec au plus humide. Nous devons continuer à utiliser dans les aménagements paysagers des plantes utiles et esthétiques de manière à faire perdurer cette connaissance de la pharmacopée caribéenne créole qui est encore très vivante.
    En effet, de nombreuses plantes locales ont des propriétés soit dépolluantes (pour les bureaux par exemple), soit insecticides naturels. Le fait de les garder dans les massifs de plantes à fleurs par exemple change le regard du visiteur par rapport à la valeur des plantes. Pourquoi ne pas conserver dans les massifs floraux certains chardon béni ou l’armoise Ti ponpon ou le grènn anba fey ?
  •  La Martinique rencontre aussi de nombreux problèmes sanitaires à cause de la Chlordécone et il conviendrait aussi de transformer ces terres polluées en jardin d’un autre temps avec des bacs à planter, des jardinières suspendues, des sortes de laboratoires de plein air qui valorisent les connaissances ancestrales et scientifiques dans un espace jardin ouvert aux publics.
  •  La biomasse présente en Martinique doit permettre d’être transformée en mulching (broyage de végétaux à utiliser en paillage pour limiter la pousse des ‘’mauvaises herbes’’ et retenir l’humidité, et comme amendement organique.
  • La spécificité de la Martinique serait dans l’alliance que nous ferions entre les catastrophes naturelles présentes et graves et les aménagements paysagers protecteurs.

Ainsi, des jardins de plantes médicinales voient le jour sur l’espace public. Ceci doit être encouragé.
Ces jardins peuvent contribuer à soigner des Martiniquais en cas de catastrophes naturelles. Ces jardins sont aussi le garant d’une occupation végétale de l’espace.
Il serait souhaitable de mettre à disposition de la population des mini-espaces réservés pour les plantations à usage journalier tels que Aloe Vera, Basilic, Citronnelle, Brisée, A tous maux, Gombo, Zèb charpentier, Pois d’Angole, Goyavier…
Il y a tellement de plantes utiles en Martinique.

 

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